Portrait de soldat

 

FRANCOIS JUDIC ou l’histoire d’un paysan devenu officier.

Pourquoi un nouveau parcours ? La guerre de 1914-1918 a non seulement brisé des millions de vies mais aussi brisé leur mémoire. Autrefois connus de tous dans leur village, ils sont devenus des noms sur des plaques. Sans eux et leur détermination, cette guerre aurait pu se terminer fin août 1914. Ni les prétendus ordres de résister à tout prix, ni les conseils de guerre n’ont eu de véritable influence sur leur volonté de faire leur devoir. Ils sont les véritables vainqueurs, et « les fusillés pour l’exemple », les victimes de dictature du Grand Quartier Général.

François JUDIC vit à La Chapelle Launay quand la guerre éclate. C’est un petit paysan propriétaire d’une dizaine d’hectares, paysan aisé pour les critères de l’époque. Marié, il a trois enfants. C’est un homme d’âge mûr, dont les qualités ont déjà été reconnues lors de son service militaire qu’il termine comme sergent. Homme cultivé, il écrit et nous a laissé un carnet de guerre qui couvre les années 1914 et 1915 et les lettres qu’il a écrites à sa femme durant la même période. Nous ne possédons malheureusement ni son deuxième carnet ni les lettres de 1916. Nous ne pourrons donc le suivre qu’en 1914 et 1915.

L’historique du 101e régiment nous aidera à y voir plus clair. Le 2 aout 1914, à 38 ans, il répond sans hésiter à l’appel et rejoint le centre de mobilisation qu’est alors la caserne de la Briandais à Saint Nazaire. Territorial (il a plus de 35 ans) il est affecté au 81e RTI (régiment territorial d’infanterie). Pendant deux mois, c’est la vie de caserne vers laquelle affluent de nombreux hommes de la région de Savenay. Ils se connaissent bien et sa nomination comme adjudant, un mois et demi plus tard l’amène à s’occuper de l’organisation des services de sa compagnie. Le 6 octobre marque la fin de cette vie de caserne. Après la bataille des frontières, la retraite et la bataille de la Marne, l’armée française est durement atteinte : 500 territoriaux du 81e RTI doivent aller renforcer le 101e régiment d’infanterie, régiment qui comptait en août 1914, 3200 hommes. L’adjudant qui connait bien la situation du régiment (perte d’un tiers de ses officiers et 20% de ses soldats) s’embarque alors pour la Somme. Le voyage est long et les hommes boivent beaucoup avant de partir. François rassure sa femme, lui dit que le régiment va sans doute partir pour les frontières de l’Italie « où il pourra se reposer car je crois qu’il est épuisé ». A l’étape de DREUX, c’est encore le chef de famille qui conseille sa femme, s’enquiert de ses enfants, lui décrit son séjour dans la ville. Il est en voyage et c’est encore l’inconnu. Les 500 hommes arrivent à destination le 14 octobre. L’état de sa compagnie, la 2e, montre l’ampleur des dégâts : réduite à une trentaine d’hommes, elle est commandée par un sous-lieutenant qui était sergent deux mois plus tôt. Dans les lettres à sa femme, il élude sa véritable situation, oubliant l’obus auquel il vient d’échapper miraculeusement quelques jours plus tôt mais évoque déjà à mots couverts son éventuelle disparition. Ses lettres auront toujours le même schéma, se projetant dans sa ferme, demandant des nouvelles des enfants et racontant une vie de guerre bien loin de la réalité. Il ne peut s’empêcher malgré tout d’évoquer sa mort tout en affirmant sa certitude de revenir. Les conseils qu’il donne à sa femme témoignent des rapports qui existaient alors entre hommes et femmes. Cependant, au fil du temps, ils deviennent moins directifs, reconnaissant sans le dire le rôle pris par sa femme dans la direction de la ferme. Son éloignement et la réalité de la situation l’oblige en 1915 à lui dire qu’elle sait ce qu’il faut faire. Rude reconnaissance d’un chef de famille de l’époque. Quant à sa vie au front, elle se résume souvent par « nous sommes aux tranchées » ou « nous sommes en action ». Il en dit peu et se soucie sans cesse des progrès de ses enfants, demandant à sa femme que son fils aîné lui écrive. Comment gérait-il ce grand écart entre sa vie précaire et ses préoccupations de père et de paysan ? Mystère.

En novembre 1914, François comprend que la guerre va durer : «tant que les alboches seront en France, nous n’aurons pas la paix, il faudra les déloger et cela coûtera bien des vies humaines». Est-ce le bons sens paysan ? Une fois au front, avant de monter à l’assaut, il a pris une décision, celle d’enlever ses galons, de laisser son sabre de côté et repris un fusil. «De toute façon, ils me connaissent suffisamment sans voir mes galons». Quelle meilleure preuve de la proximité d’avec ses hommes ? De la mi-novembre 14 à la fin décembre, la vie au front est «plus calme» alternant montée aux tranchées et retraits. Le 101e RI est mis au repos la première quinzaine de janvier 1915. La dernière quinzaine est occupée par les exercices, les marches, la restauration des tranchées dans un environnement pénible fait de boue ou de neige, de froid. La mort continue son œuvre, au travers de l’historique du régiment, sans qu’on en sache précisément les causes. Le 7 février 1915, c’est à SUIPPES, en Champagne que le 101è est transféré. Comment ne pas avoir, à cette occasion, une pensée pour Théophile MAUPAS ? Pendant quatre jours, du 26 février au 1er mars1915, le régiment va connaître une nouvelle hécatombe, la compagnie de François JUDIC perdant la moitié de son effectif au cours de la première offensive de CHAMPAGNE. Dans son carnet de guerre, il ne livre pas ses sentiments. Relevé, le régiment connait alors une vie de tranchée dans un secteur «calme». Puis des travaux de restauration les attendent avant la seconde offensive de septembre.

A partir de là, nous ne savons plus rien de sa vie familiale et militaire. Cité à l’ordre du corps d’armée après l’offensive de septembre, François JUDIC reçoit la croix de guerre avec palmes, la médaille militaire et la nomination à titre temporaire au grade de sous-lieutenant. Lors de ce fait d’arme, il a pendant 14 heures commandé un bataillon ! Il mourra dans la fournaise de Verdun l’année suivante le 1er juin 1916 au fort de Tavannes.

JC BONHOMME